La
Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2025 introduit une réforme structurante du régime d’indemnisation
des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP).
Elle acte une nouvelle approche de la réparation du dommage, en intégrant de façon systématique la double dimension du préjudice :
professionnelle et fonctionnelle, qu’il y ait ou non
faute inexcusable de l’employeur.
Cette réforme, saluée par les partenaires sociaux, entrera en vigueur
au plus tard le 1er juin 2026, pour toutes les victimes dont l’état de santé sera
consolidé à compter de cette date. Un
décret d’application viendra préciser les modalités techniques, notamment les barèmes de référence.
Avant la réforme : une indemnisation partielle et cloisonnée
Jusqu’à présent, lorsqu’un salarié était victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (AT-MP), il pouvait être indemnisé de deux façons, selon le taux d’incapacité évalué :
- Incapacité permanente < 10 % : versement d’une indemnité en capital (somme forfaitaire) ;
- Incapacité permanente ≥ 10 % : versement d’une rente, calculée en fonction du salaire annuel de référence et du taux d’incapacité corrigé.
En cas de
faute inexcusable de l’employeur, cette rente était majorée. La victime avait le droit de demander devant la juridiction de la Sécurité sociale une indemnisation complémentaire pour les souffrances personnelles, physiques et morales, mais elle devait prouver que celles-ci n’étaient pas déjà indemnisées par la rente perçue. En effet, la Cour de cassation considérait que la rente incapacité permanente indemnisait, outre les préjudices professionnels, le déficit fonctionnel permanent.
Un revirement de jurisprudence à l’origine de la réforme
Cependant,
un revirement de jurisprudence de la Cour de cassation (20 janvier 2023, n° 20-23673) a invalidé l’idée que la
rente majorée couvrait le
déficit fonctionnel permanent (DFP), c’est-à-dire les séquelles physiques ou psychiques qui affectent la vie quotidienne, même sans lien direct avec le travail.
En conséquence, les victimes ont pu, à la suite de cette décision, engager des actions en justice pour obtenir une réparation complémentaire du préjudice non-professionnel, sans avoir à apporter la preuve que la rente incapacité permanent ne le couvrait pas déjà. Une avancée pour les salariés, qui a toutefois semé le doute sur l’équilibre du système, notamment pour les employeurs et les organismes de Sécurité sociale.
Réforme de la LFSS 2025 : la reconnaissance du préjudice fonctionnel
Pour apporter davantage de sécurité et de clarté juridique, et pour répondre à la demande des partenaires sociaux, le législateur a acté, dans la LFSS 2025, le caractère dual de l’indemnisation en cas d’incapacité permanente.
« L'indemnisation de l'incapacité permanente dont est atteinte la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle comprend celle due au titre de son incapacité permanente professionnelle ainsi que celle due au titre de son incapacité permanente fonctionnelle. »
Les nouvelles modalités d’indemnisation
Une indemnisation en deux volets : professionnel et fonctionnel
À compter de l’entrée en vigueur de la réforme, les prestations versées au titre de l’incapacité permanente consécutive à l’AT-MP seront donc scindées en deux composantes : une part professionnelle, couvrant la perte de gains liée aux limitations sur l’emploi, et une part fonctionnelle, visant à compenser les conséquences dans la vie quotidienne (indépendamment de toute incidence professionnelle). Cette distinction vaut tant pour l’indemnité en capital (en dessous de 10 % d’incapacité professionnelle) que pour la rente (à partir de 10 %).
Deux taux d’incapacité, deux calculs distincts
Le
taux d’incapacité permanente professionnelle reste calculé selon
les critères actuels (précisés à l’article
L. 434-2 modifié) : nature des séquelles, âge, état général, incidences sur le travail des capacités physiques et mentales résiduelles de la victime, selon un
barème indicatif d’incapacité professionnelle.
Quant à la
part fonctionnelle
de la rente ou du capital, elle est calculée selon une formule combinant :
- Le
nombre de points
d’incapacité fonctionnelle (selon un barème inspiré par celui du concours médical) attribués à la victime ;
- Et la
valeur de ces points
(selon un barème inspiré de la méthodologie Mornet).
Ces barèmes seront tous deux précisés ultérieurement par arrêté.
Concours médical et référentiel Mornet
Le Concours médical est un outil utilisé pour évaluer le degré d'incapacité d'une victime suite à un accident ou une maladie professionnelle. Il est basé sur l’examen médical de l’état de la victime, déterminant la diminution de ses capacités physiques ou mentales, avec un pourcentage d’incapacité réparti dans plusieurs catégories.
Le référentiel Mornet, quant à lui, est un outil méthodologique principalement destiné aux magistrats, qui permet de traduire l’incapacité physique ou psychique d’une victime en termes de réparation financière. Il s'appuie sur les résultats du Concours médical pour déterminer le montant de la compensation, et permet d’harmoniser l’évaluation des préjudices en offrant une base juridique équitable pour l’indemnisation des victimes.
Quelle majoration en cas de faute inexcusable de l’employeur ?
En cas d'AT/MP lié à une
faute inexcusable de l'employeur, les règles d'indemnisation seront modifiées, pour intégrer la majoration.
Lorsque la victime bénéficie d'une indemnité en capital, la majoration ne pourra pas excéder le montant de l'indemnité de base, même si cette dernière comprend désormais une part relative au déficit fonctionnel permanent.
Pour l'indemnisation sous forme de rente, la majoration s'appliquera sur deux volets :
- Part professionnelle majorée, calculé selon la règle actuelle (taux d’IPP × salaire réel) ;
- Part fonctionnelle majorée, calculée en multipliant le nombre de points d’incapacité fonctionnels par la valeur de point du référentiel. À noter qu’en cas de déficit fonctionnel important (le seuil de 50 % est évoqué dans les travaux parlementaires), une fraction de cette part fonctionnelle pourra être convertie en capital. Toutefois, ce montant ne sera pas soumis à revalorisation annuelle.
Ces indemnités supplémentaires, attribuées en raison de la faute inexcusable, seront récupérées auprès de l'employeur fautif, qui devra donc assumer une part du coût de la réparation, y compris celle relative au déficit fonctionnel permanent de la victime.
Un nouveau cadre juridique stabilisé au plus tard le 1er juin 2026
À l’avenir, la
rente ou le capital
intégreront donc systématiquement
le déficit fonctionnel permanent
, qui ne pourra plus faire l’objet d’une
demande de réparation complémentaire en justice
, contrairement à ce qui était permis depuis les arrêts de 2023.
Cette réforme consacre ainsi une réparation plus complète et prévisible pour les victimes, tout en évitant les actions contentieuses multiples.
Elle sera effective
au plus tard le 1er juin 2026
, selon les modalités précisées par
décret
, et s’appliquera aux situations pour lesquelles la
consolidation médicale
intervient à compter de cette date.